Je démarre ce blog avec une épiphanie que j’ai eu en lisant le livre de Job, à propos de la crainte du Seigneur. On pourrait arguer que c’est étrange de démarrer un blog censé parler d’amour avec le fait de craindre le Seigneur, mais justement, c’est le sujet de mon épiphanie…
Pour simplifier, je suis un chrétien (il me faudra tout un post à part entière pour dire ce que je pense de cette étiquette). Je crois que Dieu m’aime, que je suis appelé à l’aimer, qu’il s’est sacrifié pour me laver de mes péchés. Je crois au salut par la grâce par le moyen de la foi (Eph 2,8), c’est-à-dire que je suis sauvé simplement en acceptant le salut qui m’est offert gratuitement. Grosso modo, si je crois que je suis sauvé par Jésus, alors je suis sauvé par Jésus. On peut difficilement faire plus simple.
À première vue, tout ça semble assez incompatible avec une notion qui est pourtant régulièrement présente dans la Bible : la crainte du Seigneur. Paul dit qu’ils connaissaient la crainte du Seigneur (2Co 5,11), les Actes nous racontent que « L’Église (…) marchait dans la crainte du Seigneur » (Ac 9,31) et le Siracide en fait des tartines dans des dizaines de versets. Selon lui, « La crainte du Seigneur est gloire et fierté, joie et couronne d’allégresse » (Si 1,11), elle « réjouit le cœur, donne joie, gaieté et longue vie » (12). Mieux, « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur » (14).
D’une part, cette exubérance dans le discours du Siracide pourrait faire penser à un marketing trompeur et grossier, du genre des remèdes miracles qui faisaient fureur au XIXème siècle, d’autre part j’ai vraiment du mal à imaginer comment allier une crainte qui semble devoir être fondamentale et omniprésente avec un amour tel que la Bible me le commande : « Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. » (Dt 6,5).
En fait, ça faisait une dizaine d’années que ce concept me tiraillait et me dérangeait. Jusqu’à hier soir, où j’ai lu Job 28,28 : « La crainte du Seigneur, voilà la sagesse. S’écarter du mal, c’est l’intelligence ! » Le texte n’a pas changé d’un iota, mais moi, si. Entre temps, j’ai lu The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion, de Jonathan Haidt. Ce chercheur en psychologie morale s’appuie sur de la psychologie expérimentale pour comprendre comment fonctionne dans notre cerveau la moralité et pourquoi nous avons développé celle-ci dans l’espèce humaine. Il propose une série d’hypothèses qui expliquent par des phénomènes évolutifs l’intérêt d’avoir une moralité et le rôle qu’a joué la religion dans son développement:
- L’humanité a subi une évolution au niveau du groupe, c’est-à-dire que ce ne sont pas que les individus qui sont en compétition, mais des groupes d’individus (familles, tribus, villes, etc…),
- pour qu’un groupe ait du succès, il faut que ses membres travaillent à l’intérêt collectif,
- si des membres travaillent à l’intérêt collectif, il faut des mécanismes pour empêcher des parasites de profiter de ces efforts sans participer (si ce sont ces membres-là qui disséminent le plus leurs gènes, le groupe perd sa dynamique),
- la morale avec ses répercussions sociales constitue un tel mécanisme régulateur,
- les êtres humains ont besoin de sentir un jugement potentiel sur eux pour suivre des règles morales (ils n’ont pas besoin d’être certains d’êtres jugés, mais à l’inverse, s’ils sont certains de ne pas être jugés, ils tendent à ne pas être moraux),
- dans la plupart des civilisations, en particulier primitives, l’existence d’un surnaturel, omniscient ou presque, a permis de manière critique de fournir ce jugement potentiel qui maintenait les êtres humains dans leur cadre moral.
À la lumière de ces hypothèses scientifiques, la Bible s’avère tout simplement proposer depuis longtemps une vision réaliste de la morale et de l’être humain. Il est infiniment plus beau d’être un homme bon par amour du prochain et je crois que c’est possible. Je crois que c’est une partie de la Bonne Nouvelle que nous apporte le Nouveau Testament : nous avons en nous le potentiel d’aimer et cet amour, alimenté par l’amour de Dieu pour nous, est une force sans aucune pareille dans le monde. Mais ce n’est pas par là que l’homme débute quand il choisit la droiture.
Il commence par craindre le jugement, des hommes et/ou de Dieu. Et c’est seulement une fois engagé sur ce chemin qu’il peut progressivement changer sa motivation et se mettre à faire le bien par amour et non par crainte. En tout cas c’est exactement le chemin que j’ai suivi quand je suis revenu aux Écritures et que j’ai décidé de réévaluer ma morale.
Il est intéressant de noter que selon Haidt, désormais, les fondements de notre morale humaine sont pré-câblés dans notre cerveau par la génétique (mais pas câblés en dur, notre éducation vient ensuite modifier les limites de notre morale et ce qui la fait réagir).
Rien de nouveau sous le Soleil, pourrait rétorquer le bibliste : « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur, pour les fidèles, elle a été créée avec eux dans le sein maternel. » (Si 1,14).
Que Dieu vous garde.