Je n'obéis qu'à un seul commandement

Mon rapport avec les commandements bibliques, avec les exigences que la Bible formule pour ma vie, a beaucoup changé avec le temps. Et je pense que j’avais besoin de passer par ces différentes étapes, ce qui doit me faire dire d’emblée une chose : il n’y a pas une manière unique, et sûrement pas une unique bonne manière, d’interpréter la Bible en matière d’éthique et de commandements.

La Bible elle-même le dit, au cas où quiconque aurait l’audace de vous affirmer qu’il n’y a qu’une manière de la suivre. On peut atteindre une compréhension qui nous permet de commettre un acte qui ne nous éloigne ni ne nous rapproche de Dieu, mais le même acte serait une occasion de chute pour quelqu’un d’autre. Pire, pour quelqu’un d’autre, nous voir commettre cet acte pourrait être une occasion de chute :

« Donc, peut-on manger des viandes sacrifiées aux idoles ? Nous savons qu’il n’y a aucune idole dans le monde et qu’il n’y a d’autre dieu que le Dieu unique. (…) Mais prenez garde que cette liberté même, qui est la vôtre, ne devienne une occasion de chute pour les faibles. Car si l’on te voit, toi qui as la connaissance, attablé dans un temple d’idole, ce spectacle édifiant ne poussera-t-il pas celui dont la conscience est faible à manger des viandes sacrifiées ? Et, grâce à ta connaissance, le faible périt, ce frère pour lequel Christ est mort. En péchant ainsi contre vos frères et en blessant leur conscience qui est faible, c’est contre Christ que vous péchez. Voilà pourquoi, si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande plutôt que de faire tomber mon frère. » (1Co 8,4.9–13)

Quand je suis revenu à la Bible, un peu comme Luther, j’ai été sais par l’angoisse de tous les commandements que j’enfreignais en permanence. Le sermon sur la montagne m’a particulièrement frappé, quand j’ai réalisé combien je ne pardonnais pas, les rancunes que j’avais accumulées à travers les ans et tous les péchés que je commettais en pensée, en particulier sexuels.

J’ai ardemment souhaité que cela change ; à l’époque je n’aurais pas osé formuler ça comme des prières mais c’en étaient bel et bien et elles furent exaucées. Pendant longtemps, j’ai dit avoir changé sans trop pouvoir expliquer par quel processus, seulement comment je l’ai démarré : aussi bien pour le pardon que la luxure, j’ai souhaité changer et j’ai décidé que je n’allais pas m’encombrer de culpabilité. Je n’allais pas me flageller, même métaphoriquement, pour chaque péché que je commettais, mais me tourner vers l’avenir et espérer en commettre de moins en moins. Aujourd’hui, je reconnais qu’à ces deux reprises, j’ai été touché par l’Esprit Saint.

J’avais besoin de vouloir appliquer les commandements à la lettre, d’être angoissé par mes transgressions. Pour me forcer à poser un regard critique sur ma vie et mes comportements et pour me rendre nécessaire d’en appeler à Dieu pour changer.

Avec le temps, progressivement, mon étude des Écritures m’a fait réaliser que l’application à la lettre des commandements ne tenait pas forcément la route. Commandement par commandement, j’ai trouvé dans ma vie, dans celle des autres ou dans les récits bibliques des situations qui appelaient à des exceptions. Jésus l’explique dans un de ces récits :

Or Jésus, un jour de sabbat, passait à travers des champs de blé et ses disciples se mirent, chemin faisant, à arracher des épis. Les Pharisiens lui disaient : « Regarde ce qu’ils font le jour du sabbat ! Ce n’est pas permis. » Et il leur dit : « Vous n’avez donc jamais lu ce qu’a fait David lorsqu’il s’est trouvé dans le besoin et qu’il a eu faim, lui et ses compagnons, comment, au temps du grand prêtre Abiatar, il est entré dans la maison de Dieu, a mangé les pains de l’offrande que personne n’a le droit de manger, sauf les prêtres, et en a donné aussi à ceux qui étaient avec lui ? » Et il leur disait : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat. » (Mc 2,23–28)

J’ai ainsi passé les commandements au tamis et, au final, il n’en reste qu’un dont je ne vois aucune raison qui pourrait faire qu’on ne veuille pas l’appliquer. Le seul commandement qui ne souffre aucune exception, c’est le commandement d’amour.

Bon, techniquement, ce sont deux commandements :

« Maître, quel est le grand commandement dans la Loi ? » Jésus lui déclara : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes. » (Mt 22,36–40)

Les commandements bibliques gardent pour moi une force considérable. Jésus passe son temps à nous mettre face à des exigences éthiques draconiennes. Pour moi, le but est clair : nous pousser à toujours réfléchir, à ne jamais baisser notre garde face au péché. La voie la plus directe vers le péché, c’est la certitude de ce qui est bon et de ce qui est mauvais.

Avoir une série de règles rigides, c’est pour moi une tentation à repousser. C’est proprement inhumain, car aucune règle rigide ne peut s’adapter à la diversité des situations humaines et à la diversité des êtres humains. C’est tentant parce qu’on peut faire semblant d’avoir réglé la question du bien et du mal, on peut faire semblant d’appliquer les règles et de n’avoir aucun poids sur sa conscience. C’est évidemment toujours un mensonge et une illusion. Il n’y a selon moi pas pires hypocrites que ceux qui prèchent l’application de règles strictes et rigides. Et la Bible nous dit clairement ce que Jésus pense des hypocrites !

Accepter qu’il va toujours falloir composer avec l’autre, c’est accepter toute la Création dans sa complexité. C’est ça, aimer réellement. C’est une voie qui peut sembler horriblement difficile, mais Jésus l’a dit lui-même :

« Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s’y engagent ; combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. » (Mt 7,13–14)

Pourtant, au final, je trouve la voie de l’amour plus simple et plus paisible.

Il me semble que c’est quand les gens se mettent à juger leur prochain ou, pire, à juger ceux qu’ils ne connaissent même pas, que les réelles difficultés commencent. En fait, la porte étroite, c’est peut-être de s’étirper de ce bourbier de jugement et de ressentiment.

Pourquoi je parle de ressentiment ? Je soupçonne qu’il y a là une clef fondamentale pour comprendre l’animosité et la vindicte des légalistes à l’égard de ceux qui choisissent une autre voie que la leur. Appliquer des règles rigides, même quand on en enfreint tout le temps, nécessite de faire des sacrifices. Dans un cadre légaliste, accepter que quelqu’un d’autre ne fasse pas les mêmes sacrifices que soi ou des sacrifices qu’on juge moins coûteux, c’est essentiellement admettre que les sacrifices qu’on a fait étaient en vain. C’est une réalisation terrible et je peux imaginer qu’on puisse être tenté de vivre dans son déni. Et quelle meilleure manière d’alimenter ce déni que de partir en croisade contre les infractions à ces règles ?

Les illustrations de ce phénomène sont monnaie courante quand on en est conscients. Quantité de religieux et de politiques ouvertement opposés à l’homosexualité ont fait scandale en ayant une vie sexuelle active avec des personnes de leur sexe, par exemple.

La porte étroite que nous propose Jésus, c’est faire le deuil des règles toutes faites, faire le deuil des sacrifices qu’on a faits en vain, faire le deuil de notre ressentiment à l’égard de ceux qui n’ont pas eu à les faire. Mais une fois passée la porte étroite, on entre dans la maison du Seigneur ; elle est vaste, lumineuse, accueillante et rassurante. On y est déchargés du fardeau de juger l’autre et on est libres de l’aimer.

Que Dieu vous garde.