Je suis ce que certains chrétiens appellent avec un frisson un libéral, parce que j’assume le fait que je n’applique pas la Bible à la lettre (en fait, personne n’applique la Bible à la lettre).
Les bonnes âmes qui souhaitent me sauver de mon erreur m’opposent souvent l’argument que la Bible est la vérité et que je ne peux donc en aucun cas contredire sa lettre.
Je me suis demandé : mais que dit la Bible à ce sujet ? (oui, quand j’ai un problème avec la Bible, je vais la voir et on discute…)
Ce que dit la Bible à propos de la vérité
Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner la vérité, réfuter l’erreur, corriger les fautes et former à une juste manière de vivre (2Tm 3,16)
On notera d’emblée que l’auteur ne dit pas que toute Écriture est la vérité, mais que toute Écriture est utile pour enseigner la vérité. La distinction est colossale. Ceci dit, un tel passage est loin de résoudre la question, car il n’exclut pas réellement la possibilité que la Bible soit en elle-même la vérité. Il se trouve qu’il y a au moins un passage de la Bible qui nous parle de la vérité :
Jésus lui dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. (Jn 14,6)
Donc, selon la Bible, la vérité, c’est Jésus. Or, clairement, Jésus n’est pas la Bible. Donc la Bible nous affirme ne pas être la vérité. Quod erat demonstrandum
Mais ne jouons pas sur les mots, peut-être la Bible est-elle néanmoins une vérité, car on dit qu’elle est la Parole de Dieu ?
Au commencement de toutes choses, la Parole existait déjà ; celui qui est la Parole était avec Dieu, et il était Dieu. (Jn 1,1)
Celui qui est la Parole est devenu un homme et il a vécu parmi nous, plein de grâce et de vérité. Nous avons vu sa gloire, la gloire que le Fils unique reçoit du Père. (Jn 1,14)
Encore raté, la Bible nous affirme que la Parole, c’est Jésus. Encore lui !
Bon, ne nous laisson pas abattre, nous avons déjà lu que « toute Écriture est inspirée de Dieu », ce qui doit vouloir dire que les mots qu’elle contient sont placés là par Dieu, comme le suggère une prière des disciples que nous transmets la Bible :
On les écouta ; puis tous, unanimes, s’adressèrent à Dieu en ces termes : « Maître, c’est toi qui as créé le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, toi qui as mis par l’Esprit Saint ces paroles dans la bouche de notre père David, ton serviteur (…) (Ac 4,24–25)
Donc c’est acquis, tous les mots qu’elle contient viennent de Dieu, n’est-ce pas ?
Pas selon Paul, en tout cas :
Aux autres je dis, c’est moi qui parle et non le Seigneur (1Co 7,12)
Si Paul lui-même, auteur biblique, prend la peine de faire la distinction entre paroles venant de Dieu et paroles venant de lui, peut-être pourrions-nous daigner en faire de même ?
Ce que dit la Bible à propos de son propre rôle
Laissons de côté toutes les nombreuses et contradictoires affirmations que des croyants ont pu faire à propos de la Bible, et demandons-lui à elle ce qu’est censé être son rôle ! Quelle importance devrait-elle avoir ? La Bible nous relate ces paroles de Jésus à ses disciples :
Vous scrutez les Ecritures parce que vous pensez acquérir par elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage à mon sujet. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle. La gloire, je ne la tiens pas des hommes. Mais je vous connais, vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu. (Jn 5,39–42)
Pour Jésus, les priorités sont claires : c’est à Lui qu’on doit venir, c’est auprès de Lui qu’on trouvera la vie éternelle.
Mais Jésus souhaite bel et bien qu’on étudie les Écritures. Après sa résurrection, il apparut à ses disciples :
Puis il leur dit : « Voici les paroles que je vous ai adressées quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Ecritures (Lc 24,44–45)
Ainsi, la Bible elle-même nous affirme que c’est avec le secours et la présence de Jésus que nous sommes pleinement capables de la comprendre. Mais même si nous avons besoin que Jésus nous tende la main pour ne pas nous perdre, la Bible reste un chemin qui nous mène à Lui :
Depuis ta tendre enfance tu connais les Saintes Ecritures ; elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus. (2Tm 3,15)
Mais nous sommes comme les disciples à qui Jésus est apparu après sa résurrection. Pour nous, les Écritures ne sauraient se suffire à elles-mêmes. Elles affirment ne pas être la Parole, elles affirment ne pas être la Vérité.
Ce que dit la Bible à propos des Prophètes
En fait, les Écritures sont les témoignages d’êtres humains et elles nous témoignent de la liberté que Dieu, dans Son amour, a décidé de leur donner. Dieu ne souhaite pas des scribes à qui Il dicte les Écritures, ni des marionnettes à travers lesquelles Il pourrait faire sur Terre de la ventrioloquie.
Dieu va littéralement à la rencontre des êtres humains et accepte qu’ils témoignent à leur façon et avec leurs limitations :
Moïse dit au SEIGNEUR : « Je t’en prie, Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni depuis que tu parles à ton serviteur. J’ai la bouche lourde et la langue lourde. » Le SEIGNEUR lui dit : « Qui a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le SEIGNEUR ? Et maintenant, va, JE SUIS avec ta bouche et je t’enseignerai ce que tu devras dire. »
Il dit : « Je t’en prie, Seigneur, envoie-le dire par qui tu voudras ! » La colère du SEIGNEUR s’enflamma contre Moïse et il dit : « N’y a-t-il pas ton frère Aaron, le lévite ? Je sais qu’il a la parole facile, lui. Le voici même qui sort à ta rencontre ; quand il te verra, il se réjouira en son cœur. Tu lui parleras et mettras les paroles en sa bouche. Et moi, JE SUIS avec ta bouche et avec sa bouche et je vous enseignerai ce que vous ferez. Lui parlera pour toi au peuple, il sera ta bouche et tu seras son dieu.
Moïse, qui est le Prophète parmi les Prophètes, a tout bonnement refusé d’obéir au Seigneur et a rejeté le rôle qu’Il lui demandait de prendre. Il n’a pas su faire confiance au fait que si c’est Dieu qui lui demande, c’est parce que Dieu sait qu’il en sera capable, malgré ses craintes et ses doutes. Mais Dieu a composé avec son refus et lui a permis de Le servir à sa manière. De la même manière que Dieu permet à Paul de glisser dans ses épîtres des consignes qui sont ses idées propres, parmi l’Évangile que Jésus lui a transmis.
Dieu n’a pas voulu que ses Écritures soient un ouvrage unique et cohérent, il a au contraire laissé Ses témoins témoigner dans la discorde qui caractérise tous les témoignages humains :
Ayant suivi les voies de Dieu, [Hénok] disparut car Dieu l’avait enlevé. (Gn 5,24)
Elie monta au ciel dans la tempête. (2R 2,11)
Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. (Jn 3,13)
Mais je crois que Dieu est allé beaucoup plus loin que simplement autoriser les êtres humains à témoigner chacun à sa manière. Il me semble manifeste qu’Il les a inspirés pour qu’ils nous préservent activement d’une tentation, celle de prendre Ses Écritures pour une vérité unique et cohérente. Pour quelle autre raison les auteurs même de la Bible auraient-ils, par exemple, arrangé que les deux premiers chapitres de la Bible décrivent des chronologies incompatibles ? (je me demande toujours comment les créationnistes choisissent lequel des deux est censé être vrai…)
Pourquoi quatre évangiles si ce n’est pour nous rappeler que l’important n’est pas dans la chronologie mais dans ce que Dieu a fait pour nous ?
Pourquoi 2Sam 10,18 et 1Ch 19,18 ? 1R 9,23 et 2Ch 8,10 ? 2R 8,26 et 2Ch 22,2 ? 2R 25,18–19 et Jr 52,24–25 ?
Parce que les Saintes Écritures ne sont ni un ouvrage de sciences naturelles ni un ouvrage historique.
Elles témoignent de Christ.
Et la même liberté que Dieu a offert aux témoins des Écritures, Dieu nous l’offre aujourd’hui. Il vient à notre rencontre et nous sommes libres de témoigner. Nous sommes mêmes libres de nous taire :
Mais il leur dit : « Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici ; voyez l’endroit où on l’avait déposé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.” » Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. (Mc 16,6–8)
Or, tout ce qui a été écrit jadis l’a été pour notre instruction, afin que, par la persévérance et la consolation apportées par les Ecritures, nous possédions l’espérance. (Rm 15,4)
La Bible n’est rien de moins qu’une source d’espérance pour nous.
Que Dieu vous garde.
Illustration : Isaiah’s Lips Anointed with Fire