Mon éthique sexuelle

J’ai parlé précédemment des commandements divins et de ma conception du péché, mais de façon très théorique. Voici un exemple de comment ces idées se déploient dans un cas concret, le sexe. En fait, cette éthique s’applique également à mes relations sentimentales en général, dont le sexe n’est qu’une expression. Mais c’est en réfléchissant au sexe que je l’ai mise au point ; qui plus est, je continue d’en parler comme d’une éthique sexuelle car, dans notre culture, le sexe me semble poser plus de questions et de dangers que les relations amoureuses.

Il est nécessaire de préciser quelques petites choses avant d’entrer dans le vif du sujet. Tout d’abord, je tâche de prendre à cœur cette parole de Jésus : « Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés » (Mt 7,1). Il m’arrive bien entendu de proposer des règles pour les autres, de réfléchir au fait de vivre ensemble et à ce qui est inacceptable moralement à l’échelle de la société ou du monde. Mais je ne m’autorise pas à proposer comment les autres devraient vivre. Je me sens légitime de dire que le viol est un péché et un crime abject ou que négliger un enfant est une violation de ses droits qui nécessite d’intervenir, mais je pense que je ne suis pas en droit de dire comment d’autres que moi devraient user de leurs finances ou comment ils devraient vivre leurs amours.

En fait, cela va même plus loin que de ne pas m’en sentir légitime : moi-même, je suis passé par des phases où j’ai appliqué d’autres éthiques sexuelles que celle en laquelle je crois aujourd’hui et ce pour mon plus grand bien. En fait, je ne crois pas qu’il existe une morale unique applicable à tous, pas au niveau des règles concrètes à appliquer tous les jours. Il existe des règles éthiques fondamentales que je crois bonnes pour l’humanité toute entière, celles dont Jésus nous dit qu’elles constituent les deux premiers commandements. Mais leur déclinaison pratique dépend de chacun et variera en fonction des lieux, des époques et pourra évoluer dans la vie d’une personne.

Ce qui suit est donc mon éthique sexuelle personnelle du moment. Je ne sais pas si elle restera mon éthique sexuelle pour le reste de ma vie. Et s’il me semble qu’elle serait profitable à toute personne ayant une sexualité un tant soit peu libérée, je pense que ce serait de la folie de vouloir l’imposer à qui que ce soit d’autre que moi ou mes partenaires sexuels (et même à eux, elle ne s’impose que dans le cadre de nos rapports).

Puisque le péché, c’est être en relation non pas avec qui une personne est réellement mais ce qu’on voudrait qu’elle soit et que l’inverse du péché est l’amour, mon éthique sexuelle est, en fait, assez simple : il faut que toutes les relations soient basées sur la bienveillance et la vérité. C’est-à-dire qu’il faut vouloir du bien et être honnête. Et par toutes les relations, j’entends chacun.e avec soi-même et les un.e.s envers les autres. Dieu entre aussi dans l’équation, évidemment, et il me semble que c’est en acceptant toute la valeur qu’Il donne aux humains, en acceptant que cette éthique sexuelle s’impose à moi et ait le pouvoir de m’interdire des actes, que je suis effectivement en relation avec Lui et non avec une idole.

Si A et B veulent avoir une relation sexuelle, je pense donc qu’elle sera dans l’amour, c’est-à-dire hors du péché, si les critères suivants sont réunis :

  • A se veut du bien
  • A est honnête avec soi-même
  • A veut du bien à B
  • A est honnête avec B
  • B se veut du bien
  • B est honnête avec soi-même
  • B veut du bien à A
  • B est honnête avec A

Chacune des relations, à soi et à l’autre, doit obéir à ce double critère de bienveillance et de vérité.

Ces critères, bien sûr, peuvent être remplis dans de nombreuses situations, pas seulement le sexe marital. S’il satisfait à ces critères, je n’ai pas le moindre problème avec le sexe avant le mariage (j’ai même un problème avec l’interdiction du sexe avant le mariage, mais c’est une autre histoire).

Le genre de A et B ne change évidemment rien non plus à l’affaire (et pas seulement parce que la Bible ne parle pas des couples homosexuels).

Mais il y a quelques situations où je ne pense pas que ces critères puissent être raisonnablement remplis. Je ne suis pas télépathe, donc je ne saurai jamais avec certitude ce que pense la personne avec qui je couche, mais je dois avoir une assurance raisonnable sur le fait qu’elle remplisse sa part des critères. Cela interdit absolument toute aventure avec une personne rencontrée juste avant.

Je pense donc qu’une aventure d’un soir est toujours un péché car elle nécessite toujours de prendre des risques considérables que l’autre ne soit pas au clair avec ses propres raisons ou soit dans une dynamique malsaine. Ces risques me semblent inacceptables moralement.

Par contre, je pense que ces critères peuvent être remplis lors d’un « plan cul », quand les partenaires ont préalablement tissé une amitié où une véritable intimité s’est développée, pour justement qu’on puisse avoir cette assurance raisonnable que la relation sexuelle va avoir lieu pour de bonnes raisons.

Il me semble également que ces critères peuvent être remplis dans des relations sexuelles à plus de deux partenaires. Par contre, plus le nombre de partenaires augmente, plus le nombre de critères explose. À trois partenaires, il y a 18 critères, à quatre partenaires, c’est 32 critères qui doivent être remplis. Et chaque partenaire doit individuellement avoir une assurance raisonnable que l’intégralité des critères sont remplis. Théoriquement, c’est possible. En pratique, cela me semble intrinsèquement risqué. En même temps, je reconnais que toute ma réflexion sur la sexualité est peut-être teintée des préjugés irrationnels à propos du polyamour qu’entretient notre culture. J’insiste donc sur un point: j’ai seulement l’impression que le polyamour pose des difficultés pour moi-même. Peut-être mon éthique où la bienveillance est tellement importante a comme inconvénient d’être infantilisante entre partenaires (car un partenaire va refuser la relation s’il soupçonne l’autre de ne pas être dans de bonnes dispositions quelles que soient ses affirmations) et peut-être les polyamoureux ont-ils une éthique où la responsabilité individuelle est plus centrale. Ou peut-être nombre d’entre eux pourraient parfaitement adhérer à mon éthique mais simplement leur sexualité hors normes les encourage à beaucoup plus expliciter les choses et à communiquer et peut-être est-ce ainsi plus simple que pour les gens dans la norme d’effectivement satisfaire à ce grand nombre de critères… Une seule chose est certaine pour moi aujourd’hui: le polyamour n’est pas en soi un péché (et la Bible témoigne d’une diversité de situations d’unions, le couple fidèle et exclusif n’y est pas la seule manière d’aimer et de concevoir des enfants).

Ce qui me semble crucial, c’est de se forcer à toujours se poser la question de ces critères et de ne jamais se dire qu’une situation exclue le péché. Quantité de couples chrétiens mariés vivent une sexualité rongée par le péché, parce qu’il y a de la violence, un manque de communication ou de la négligence. Combien de personnes vivent une sexualité parfaitement dans la norme de notre société mais sont dans le péché parce qu’ils se forcent et n’écoutent pas leurs désirs personnels ? Et combien sont jugés déviants par notre société mais trouvent pleinement grâce aux yeux de Dieu parce qu’ils vivent une sexualité enracinée dans l’amour et le respect ?

Il en va de même pour les actes. Aucun acte sexuel n’exclue le péché et aucun acte sexuel n’est en soi un péché.

La fellation est un bon exemple. Je ne compte plus les personnes qui m’ont raconté que leur partenaire, après quelques nuits, les y force plus ou moins subtilement. Pour moi, ceux qui pratiquent ce geste dégradant et celles et ceux qui l’acceptent sont tous dans le péché. Alors que si, dans un couple, un homme reçoit la fellation non pas comme un geste d’humiliation mais comme une marque de tendresse et de désir et où son ou sa partenaire prend plaisir à la pratiquer, alors ce couple réjouira Dieu.

Alors réjouissons Dieu avec toute la diversité des plaisirs que la poésie de Ses Écritures nous suggère…

« Viens, mon chéri ; sortons à la campagne ;
passons la nuit au village ;
de bonne heure, aux vignes,
allons voir si le cep bourgeonne,
si le bouton s’ouvre,
si les grenadiers fleurissent.
Là je te donnerai mes caresses.
Les pommes d’amour donnent leur senteur ;
et à nos ouvertures sont toutes sortes de fruits de choix :
nouveaux, anciens aussi, mon chéri, je les réserve pour toi. »
(Ct 7,12–14)

Que Dieu vous garde.

Illustration : Pompeii — Casa del Centenario — Cubiculum — détail