Particulièrement parmi les croyants, on éduque souvent les jeunes selon l’idée que l’abstinence est le seul choix acceptable en terme de sexualité, avant le mariage. Avant même de me poser la question de savoir si cette idée se tient bibliquement, j’aimerais déjà vérifier quelles sont les vérités et quels sont les mensonges dans les discours à propos de l’abstinence.
Selon ses promoteurs, l’abstinence est la seule méthode de contraception efficace à 100%. Dans les communautés qui enseignent l’abstinence, il est dit que la plupart de leurs membres vivent l’abstinence et que ceux qui n’y parviennent pas ou s’y refusent sont des exceptions. Et les promoteurs de l’abstinence assurent que si on permet aux jeunes d’en savoir plus sur le sexe et de la pratiquer selon leur conscience, ils se mettront en danger.
Manque de bol pour eux, nous avons des données à grande échelle qui prouvent que toutes ces affirmations sont fausses.
Pour résumer : en moyenne, les jeunes à qui on enseigne l’abstinence uniquement démarrent leur sexualité plus tôt, ont plus de grossesses non planifiés et plus d’infections sexuellement transmissibles (IST). Naturellement, si vous expliquez à des jeunes comment marche le sexe et que vous leur dites qu’ils ont le droit de le pratiquer, ils attendront plus longtemps et se protègeront mieux.
Mais les défauts de l’enseignement de l’abstinence ne s’arrêtent pas là : je ne compte plus les jeunes gens qui témoignent combien cet enseignement a souillé pour longtemps leur vision de la sexualité. Car à force de répéter que le sexe avant le mariage est mauvais, ce que les gens en retiennent, c’est l’idée que le sexe est mauvais tout court. Quantité de sœurs et de frères en Christ se sont retrouvés désemparés et traumatisés dans leur vie sexuelle maritale, honteux de désirer quelque chose qu’ils considéraient comme sale et/ou honteux de ne pas désirer quelque chose qui est censé être un devoir marital. Littéralement pris entre le marteau et l’enclume d’un enseignement qui ne les a jamais préparés à leur sexualité.
Dans ce genre d’enseignement, on n’a pas arrêté de leur marteler qu’il faut dire non mais on ne les a jamais réellement préparés à dire oui un jour… (ce qui, faut-il le préciser, alimente notre culture du viol dont le terreau est notre manque d’éducation sur ce qu’est un consentement éclairé)
Mais regardons tout ça de plus près.
L’abstinence comme contraception et comme protection contre les IST
Si on raisonne naïvement, effectivement, on peut se dire que si une personne n’a pas de relations sexuelles, elle ne risque ni de concevoir un enfant, ni d’attraper une IST. Mais quand on évalue l’efficacité d’une contraception ou d’une protection contre les IST, il ne faut pas l’évaluer en théorie, en présupposant qu’elle sera employée parfaitement, il faut aller chercher sur le terrain comment elle est employée et comment son efficacité résiste aux erreurs de ses utilisateurs.
Comment savoir quelle est l’efficacité en pratique de l’abstinence ? On a une idée quand on compare aux USA les états qui obligent les cours d’éducation sexuelle à être sur l’abstinence obligatoire et les autres. L’un d’entre eux est le Mississipi, qui a eu pendant les dix dernières années des résultats catastrophiques en matière de santé sexuelle :
Le Mississipi a systématiquement eu parmi les pires indicateurs de santé sexuelle du pays. Cet état a le deuxième plus haut taux de grossesses chez les adolescentes, le deuxième plus haut taux d’infections aux gonorrhée et chlamydia, et le septième plus haut taux d’infection au VIH. (The Failures Of Abstinence-Only Education Illustrated In 2 Charts)
Donc une fois qu’on compare réellement les méthodes de contraception, on découvre que l’abstinence est en fait probablement la pire de toutes, parce qu’elle est difficile à mettre en oeuvre, beaucoup plus difficile que les autres.
L’hypocrisie des milieux promoteurs de l’abstinence
Pourtant, malgré ce constat d’échec à grande échelle, certains milieux avancent que, parmi eux du moins, l’abstinence est réellement pratiquée (et donc efficace).
Mais cet argument-là aussi est en bute à la réalité, car partout où on dispose de données fiables, celles-ci montrent que l’abstinence n’est pas autant pratiquée par les chrétiens qu’ils le disent. Même parmi les chrétiens évangéliques, donc une part de la population où la doctrine de l’abstinence pré-maritale est la plus présente, des jeunes entre 18 et 29 ans non marriés ont eu des relations sexuelles. Selon la National Campaign to Prevent Teen and Unplanned Pregnancy en 2009, c’est 80% d’entre eux (contre 88% pour la population générale dans cette même étude). Selon une autre étude publiée en 2012 en collaboration entre la National Association of Evangelicals et Grey Matter Research, c’est 44% d’entre eux. Et ce n’est pas seulement un acte isolé dans leur vie, car selon cette même étude, c’est le cas dans les 3 derniers mois pour 25% d’entre eux.
Mais l’hypocrisie va plus loin, car dans l’étude “Sex and Unexpected Pregnancies: What Evangelical Millennials Think and Practice,”, parmi les chrétiens évangéliques non mariés mais ayant été sexuellement actifs durant les 3 derniers mois, 55%, donc plus de la majorité, pensaient que le sexe hors mariage n’est pas acceptable moralement, dont 29% quei le pensaient fortement.
C’est donc une moitié d’hypocrites et un tiers de gros hypocrites.
Peut-on promouvoir l’abstinence avant le mariage ?
Nous venons d’examiner des faits.
En pratique, donc, l’abstinence avant le mariage est rejetée par une portion conséquente des croyants dans les communautés même où elle est promue le plus activement, et a pour conséquence que les jeunes sont moins bien armés face à leurs propres désirs sexuels et face à la pression sociale.
Si on enseigne que l’abstinence avant le mariage est la seule option, les jeunes démarrent leur sexualité plus tôt, ont plus de grossesses non prévues et plus d’IST.
Maintenant, il faut faire plusieurs distinctions. D’abord, il faut distinguer une obligation de l’abstinence et un encouragement à l’abstinence avant le mariage. Ensuite, il faut distinguer l’enseignement de l’abstinence aux autres et la pratique personnelle de l’abstinence.
De plus, il est parfaitement autorisé d’enseigner comme obligatoire une pratique qui a été démontrée comme étant source de souffrances physiques et psychologiques (et c’est malheureuement une vieille tradition des milieux religieux et de ceux qui abusent de la religion comme outil d’oppression). En fait, les faits que nous venons d’examiner ont vraiment une seule conséquence ferme : affirmer que l’enseignement de l’abstinence avant le mariage a l’avantage de protéger les jeunes des dangers du sexe est au mieux de l’ignorance, au pire un mensonge éhonté. Dire qu’elle est la contraception qui est efficace à 100% est totalement irréaliste (mais encore une fois, c’est une vieille tradition des religions d’embrasser l’irréalisme à bras-le-corps).
Je reviendrai dessus dans un prochain article, mais je pense que la pratique personnelle de l’abstinence peut avoir des effets positifs incroyables. Et si la pratique personnelle peut être bénéfique, il est naturel de penser qu’une certaine forme d’enseignement ou d’encouragement aux autres peut également faire sens.
Quant à l’interdiction du sexe avant le mariage, au vu des désastres qu’elle cause parmi les jeunes, je ne peux pas faire autre chose que la condamner. Mais je dois admettre une chose : la seule chose que je peux condamner, c’est la pratique actuelle de cette interdiction, une pratique malhonnête puisqu’elle se fait en mentant de manière éhontée aux familles et aux jeunes qui, il n’y a pas d’autre mot, la subissent.
Mais si des personnes venaient à enseigner que leur interprétation de la Bible interdit le sexe avant le mariage sans jamais mentir sur les effets de cette éthique ? S’ils ne mentaient pas sur ses avantages et sur les effets d’une transgression ? Je ne peux pas prédire quels seraient les effets d’un tel enseignement, mais je suis certain d’une chose : il ne pourrait pas faire tout le mal que l’interdiction mensongère du sexe prémarital fait aujourd’hui.
Moi qui suis touché dans la Bible par la notion que je dois servir un « esprit de Vérité », je ne suis pas surpris un seul instant qu’un enseignement perverti par le mensonge et l’hypocrisie ait des effets dévastateurs.
Voilà donc tout ce que je peux dire à ceux qui parlent d’abstinence avant le mariage : renseignez-vous avec esprit critique sur le sujet et ayez l’honnêteté intellectuelle de ne pas brandir des arguments effrayants mais mensongers ! Soyez intègres et sincères sur votre propre pratique et vos propres difficultés à vivre cette éthique !
Que Dieu vous garde.
Illustration : Costumers, Society of St. Anne, New Orleans Mardi Gras