Il semble que le débat fasse aujourd’hui encore plus rage qu’il y a quelques années autour de la question de la vérité. Des pans entiers de la classe politique se sentent désormais légitimes à mentir outrageusement et à appeler leurs mensonges des vérités subjectives, des opinions personnelles ou encore des faits alternatifs. Depuis fort longtemps, des charlatans vendent trompeusement de l’espoir à des personnes en souffrance alors qu’ils ne possèdent pas les remèdes qu’ils font miroiter. Certains sont des escrocs, d’autres des pratiquants ignorants de méthodes plus ou moins inefficaces.
Face à tout cela, beaucoup opposent la science. Et face à la science, nombreux sont ceux qui sont prompts à faire semblant qu’elle n’est pas si crédible que ça pour décrire la réalité.
Soi-disant, la science prétend détenir la vérité et c’est un orgueil déplacé. Soi-disant, elle n’est surtout pas crédible pour remettre en question ce que eux professent et elle n’a pas le pouvoir de disqualifier ce qu’ils ont vu (sauf que Souvent, la science sait mieux que vous ce que vous vivez). Soi-disant, la science dit tout et son contraire (sauf qu’En général, la science n’a qu’un avis). Soi-disant, la science est teintée comme tout le monde d’idéologie et dit juste ce qui sert les intérêt de cette idéologie. Soi-disant, ce que eux professent fait partie de ces choses que la science ne peut comprendre.
Cette série d’articles répond chacun à une de ces objections. Ici, que la science prétend détenir la vérité et que c’est un orgueil déplacé.
La science détient-elle la vérité ?
Ironiquement, la science moderne prétend exactement le contraire. Elle s’est elle-même déclaré comme limite de ne jamais pouvoir prononcer la moindre vérité, du moins finale et absolue. C’est ce qu’a théorisé au 20ème siècle Karl Popper. Il a formalisé un principe fondamental de la science, celui de la réfutabilité.
Réfuter quoi ? La seule chose que produit la science. Car en fait, la science ne produit que des modèles prédictifs. Point barre.
Bon, la science produit aussi de la paperasse, des buffets et des tâches sur des plans de travail… Mais ça, ce sont des détails, dans l’absolu, on pourrait faire de la science sans tout ça. Peut-être pas sans buffets, ceci dit.
Mais qu’est-ce qu’on entend par modèle prédictif ? Simplement que la seule chose que la science peut dire, c’est « nous pensons que si on fait X, il se passera Y ». Et encore, parfois elle n’est capable que de donner une version plus faible qui est « nous pensons que si on fait X de nombreuses fois, dans Z% des cas, il se passera Y ».
Et la méthode scientifique va un cran plus loin : pour qu’un modèle prédictif soit scientifique, il faut qu’il soit possible de faire une expérience dont un certain résultat prouve que ce modèle est faux, de le réfuter. Il est donc à jamais impossible de produire une théorie scientifique et d’affirmer qu’elle est vraie. Au mieux, une théorie scientifique n’a pas encore été prouvée fausse.
Et il est important de réaliser que beaucoup de gens font des prédictions sans se donner cette contrainte : s’ils ne se l’autorisaient pas, vu le nombre de prédictions astrologiques qui ne se sont pas réalisées, les astrologues auraient déjà tous changé de métier. Une méthode qui n’est pas scientifique, et c’est le cas notamment des pseudo-sciences, pourra faire des prédictions et baser sa crédibilité sur toutes les prédictions qu’elle a faite qui se sont avérées justes, tout en trouvant des excuses pour toutes les prédictions inexactes, quand bien même celles-ci sont immensément plus nombreuses.
Pour la science, c’est différent. Quand une prédiction échoue, de deux chose l’une : soit le modèle était erroné et il faut en imaginer un nouveau qui prenne en compte les nouvelles données (c’est ce qui arrivera le jour où on mesurera une particule allant à une vitesse plus élevée que celle de la lumière, par exemple, puisque le modèle de la relativité générale prédit que c’est impossible), soit on postule qu’il y a eu interférence dans la mesure et on refait l’expérience en prenant soin d’empêcher l’interférence (c’est ce qui s’est passé quand on a cru mesurer une particule allant plus vite que la lumière, qu’on a renforcé la synchronisation des horloges de mesure et que, répétant l’expérience, on n’a plus obtenu une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière).
Ne jamais avoir raison, une force ?
En fait, l’avantage de cette exigence que s’est imposée la science, c’est qu’aucun scientifique ne pourra jamais clamer ne pas pouvoir être contredit. Aucun scientifique ne peut avoir le dernier mot. Et du coup, quand une théorie scientifique est fausse, cette vérité éclate toujours au bout du compte. Le pire des scientifiques, celui qui aurait une théorie et qui emploie tout son possible pour éviter qu’on la réfute, ne pourrait que retarder l’inévitable, jamais l’empêcher.
Mais encore une fois, cela va un cran plus loin : pour pouvoir avancer une théorie auprès des autres scientifiques, un scientifique doit lui-même préciser comment on pourra le contredire. quand ce n’est pas évident dans la formulation de sa théorie.
Quantité d’autres manières de produire du soi-disant savoir n’ont pas ce garde-fou. Le croyant qui entre en transe et relate la volonté de puissances surnaturelles ne peut pas être contredit. Ou du moins, si deux croyants relatent des volontés contradictoires, rien ne permet objectivement de savoir lequel des deux a raison. Dans un tel cadre, ce qui fera la différence, c’est que l’un des deux croyants ait un ascendant social ou psychologique sur la communauté, qui lui permette de discréditer l’autre, voire de prononcer un quelconque anathème (comme l’hérésie ou le fait d’être à l’écoute de puissances malines).
Cette manière totalement subjective de décider de ce qui est vrai est évidemment la porte ouverte à tous les abus, notamment à des postures réactionnaires et oppressives ou à des institutions totalitaires.
La science, au contraire, empêche ce dérapage. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un scientifique cesse d’avoir un raisonnement scientifique et tente d’affirmer des soi-disant vérités en usant de son aura scientifique, mais la communauté scientifique n’accepte pas une idée au seul prétexte qu’elle est énoncée par quelqu’un d’éminent en son sein. De tels scientifiques ne tardent généralement pas à être dénoncés par les autres scientifiques.
Voilà donc la force de la science : forcer ses pratiquants à une forme d’humilité intellectuelle et s’opposer aux prises de pouvoir, car en science, c’est la réalité qui détient le pouvoir, pas les êtres humains qui l’étudient.
Que Dieu vous garde.
Illustration : My Trusty Gavel