Je ne suis pas obligé de respecter votre avis

Le respect des êtres humains et le respect des idées

Toutes les personnes ont le droit à un certain respect, à la reconnaisance de leur dignité en tant qu’être humain. C’est un fondement de nos sociétés démocratiques, inscrit par exemple dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Certains justifient ce droit par la philosophie ; d’autres par leur croyance que l’être humain a été créé à l’image de Dieu. Quelles que soient les raisons, le respect de sa dignité humaine est acquis dès la naissance et inaliénable.

Mais soyons clairs, il s’agit bien là de respecter des personnes, pas des idées. Pourtant, je m’entends régulièrement opposer, dans des débats, l’argument que je devrais obligatoirement respecter l’avis des autres.

Désolé si ça vous froisse, mais non :

Vous et moi, aussi fondamentale que soit notre dignité d’êtres humains, sommes parfaitement capables d’avoir des idées complètement stupides, qui ne méritent parfois guère plus qu’un mépris compatissant (en fait, nos idées stupides ne méritent que mépris, c’est plutôt nous qui pouvons mériter de la compassion, qui pourrait donner l’élan à notre interlocuteur de rentrer en dialogue avec nous malgré nos idées repoussantes).

Si j’émets un avis stupide, en tant que personne, je mérite qu’on respecte ma dignité en ne m’avilissant pas sous prétexte de mon avis. Je mérite de ne pas subir des violences verbales, affectives voire physiques à cause de mon avis. Par contre, le fait qu’on m’écoute n’est pas un droit, mais un privilège. Et le fait qu’on accueille mon avis avec bienveillance est également un privilège. Mon avis, contrairement à moi, n’a aucun droit, il n’est qu’une idée. Si quelqu’un souhaite le mettre en charpie avec tous les outils intellectuels qui s’appliquent, libre à lui.

La limite entre attaquer la personne et attaquer les idées

Ceci dit, l’esprit humain étant ce qu’il est, nous nous attachons à nos idées. Nous avons tendance à bâtir une partie de notre identité même autour de certaines de nos idées. Et puis nous avons notre orgueil et nous n’apprécions pas qu’on nous montre que nous pouvons avoir eu tort (et encore moins qu’on nous le prouve).

Mais le fait que nous nous sentions attaqués par une critique ne veut pas forcément dire que celle-ci était bel et bien une attaque de notre personne. Il me semble nécessaire que nous apprenions à faire la distinction : est-ce que je viens d’entendre quelque chose d’insultant ou quelque chose que je ne suis pas tout à fait prêt à accepter à propos de mes idées ?

En contrepartie, il est possible de prendre garde à la manière dont on attaque une idée. Déjà, la limite entre idée et personne peut être ténue : quand je dis qu’une idée est fondamentalement stupide, difficile de ne pas en déduire qu’il faut une personne stupide pour la soutenir. Celui qui émet cette critique-là aura peut-être la notion qu’une idée stupide peut être soutenue par une personne intelligente pour des raisons structurelles mais la formulation reste profondément maladroite. (mais vous noterez que même cette attaque maladroite n’est pas forcément une insulte)

Pourtant, cette précaution n’est pas un droit, c’est un privilège. C’est une faveur que la personne fait à la source d’une idée qu’elle critique, soit par volonté de créer un dialogue, soit par amour du prochain.

Pour ma part, je n’ai aucun désir que mes propos causent une souffrance aisément évitable et inutile, donc je vais tâcher de mesurer mes propos, pas seulement en fonction de leur véracité mais aussi de la manière dont ils peuvent être reçus.

Ce que je n’accepterai pas, c’est qu’on me reproche la confusion, l’irrationalité et la susceptibilité des autres. Si quelqu’un se sent agressé quand j’affirme que 2+2=4, tant pis pour lui. Il est pleinement responsable de son sentiment négatif qui n’a aucun rapport avec moi. Et non seulement je ne vais pas arrêter d’affirmer plubiquement que 2+2=4, mais je me réserve le droit de le contredire chaque fois qu’il affirme que 2+2=5 en public.

Les idées que je défends

Pour ma part, je tiens en la plus haute estime le rationalisme et une de ses incarnations les plus récentes, la méthode scientifique. J’accorde de la valeur aux idées qui obéissent à une certaine logique et encore plus à celles qui offrent les clefs pour accueillir la critique. Pour moi, un avis vaut d’être défendu s’il peut résister à une critique constructive.

Vous avez parfaitement le droit de ne pas être d’accord avec moi sur ces critères. Vous avez le droit de croire qu’un argument ou un avis ont de la valeur juste parce qu’ils vous ont convaincu. Et vous avez le droit de vous sentir offensés si j’ai l’outrecuidance d’avancer des arguments logiques et, comble du mauvais goût, des données objectives et vérifiables qui contredisent votre avis. Dans ce cas, il n’y a peut-être pas grand intérêt à ce que nous ayons un dialogue. Ou plutôt nous n’arriverons peut-être pas à réellement entrer en dialogue.

Mais si vous pouvez tolérer que je critique vos idées, que ce soit avec des arguments qui font sens pour vous ou non, alors je serai ravi de débattre avec vous. Je serai ravi que vous attaquiez mes idées avec l’agressivité intellectuelle la plus féroce et j’espère que, pour que le dialogue continue, j’aurai à prendre le moins de précautions possible quand je m’attaque aux votres, car c’est ainsi que nous pourrons utiliser toute notre énergie dans l’échange d’idées.

Et je n’ai pas vraiment de grief contre les gens qui ont d’autres priorités épistémologiques que les miennes. Si vous pensez que l’avis de votre voisin est plus important que des preuves scientifiques, grand bien vous en prenne ! Par contre, ce contre quoi je me bats, c’est la tendance actuelle à déguiser des idées de cet acabit avec les atours du rationalisme et de la science, parce que notre culture accorde de la valeur au rationalisme et à la science.

Cette tendance n’est rien moins qu’un mensonge.

Cette tendance est tout simplement la volonté de ne pas accepter les rigueurs intellectuelles du rationalisme et de la science mais d’en employer néanmoins l’aura de confiance. C’est une escroquerie, en somme.

Mais si vous voulez développer une autre manière de penser que celle promue par le rationalisme et que vous êtes sincères sur la différence, c’est avec joie que je discuterai avec vous des mérites respectifs de nos méthodes !

Que Dieu vous garde.

Illustration : I will wish you all a very good night.