Cet article est une retour sur l’idée que la Bible ne parle pas des couples homosexuels. Mon précdent article représentait une synthèse rapide de certaines de mes idées sur la question, mais il m’est apparu, dans les discussions houleuses qu’il a généré, que sa forme contenait un défaut majeur et que son fond manquait de détailler l’ensemble de mes idées. Cet article-ci est une tentative d’y pallier (si elle y parviendra, Dieu seul sait).
Le but de cet article
Je voudrais espérer que c’est toujours une évidence, mais je ne me sens jamais légitime à affirmer que telle ou telle lecture de la Bible est impossible à soutenir, du moins pas quand c’est celle de millions d’autres personnes. Je dois confesser que ce n’est pas aussi souvent une évidence pour moi-même que je le souhaiterais et ça ne l’est certainement pas pour mon auditoire.
Aussi, le sujet étant spécialement polémique, je précise explicitement que cet article a un seul but : démontrer qu’il est impossible de dire que la Bible a un discours à propos de l’homosexualité qui soit évident et dont une interprétation soit indiscutable. Il existe des manières de lire la Bible qui y trouvent, avec une méthode cohérente, une condamnation sans appel de l’homosexualité. Certaines de ces lectures sont peut-être légitimes, certaines sont peut-être mêmes vraies. Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais il existe des raisons de penser que ces lectures-là sont dans l’erreur et qu’elles sont le fruit d’une lecture entâchée de préjugés homophobes, préjugés qui nous viennent non de Dieu mais du monde.
Affirmer que le message biblique est évident sur la question, c’est faire semblant que ces raisons n’existent pas, c’est un mensonge que je n’ai pas l’intention de laisser passer. Je peux respecter que quelqu’un défende une interprétation différente des Écritures, je peux respecter qu’on affirme que les différences fondamentales dans nos théologies respectives fassent que la mienne est dans l’erreur. Je suis même ravi de creuser ce genre de question précisément pour aller dénicher quelles sont, sous la surface de nos désaccord concrets, nos différences fondamentales. Mais je suis agacé de l’affirmation que l’interprétation du texte biblique est évidente quand il y a tellement de raisons de penser qu’elle ne l’est pas.
Soyons clairs, affirmer que la Bible est évidente, c’est une rhétorique facile mais de mauvaise foi. C’est une technique fallacieuse qui consiste à dire « n’allez même pas inspecter les arguments qui s’opposent à mon idée, j’affirme qu’ils sont faux sans expliquer pourquoi ».
Sola Scriptura
C’est par la Bible que Dieu m’a ramené à Lui et j’entends bien continuer à cheminer vers Lui selon les Écritures. Quand j’explique comment je vis les commandements, c’est en fonction de ce que la Bible en dit. Quand je détaille ma conception du péché, c’est uniquement sur la base de ce qui en est dit dans la Bible. Quand je dis que la Bible n’est pas en elle-même la vérité, c’est parce que je le trouve écrit noir sur blanc dans la Bible.
Je refuse de faire semblant que la Bible ne nécessite pas des efforts pour être interprétée, car la Bible elle-même raconte que quand Jésus est apparu à ses disciples, « il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Ecritures » (Lc 24,45).
Toute critique sérieuse et honnête de mes propos devra donc tenir compte de la place très haute que je donne à la Bible dans ma théologie et de l’immense autorité qu’elle a sur moi.
La notion même d’homosexualité
Avant de plonger dans la Bible, il faut faire une mise au point : aucun auteur biblique ne peut vraisemblablement penser à l’homosexualité telle que nous la concevons aujourd’hui, car les mots « homosexuel » et « homosexualité » ont été inventés en 1868. Ce moment marque un tournant dans la manière de considérer la question dans la culture occidentale, en considérant qu’une personne est ou devient homosexuelle. Au contraire, dans le monde antique, on est simplement une personne capable de sexualité et on choisit de coucher avec telle ou telle personne, ou tel ou tel type de personnes. D’ailleurs des auteurs grecs expliquent combien il est meilleur pour les hommes de coucher avec des hommes qu’avec des femmes, même si coucher avec des femmes est évidemment indispensable pour procréer. On est donc bien dans une réflexion à propos de choix sexuels ou d’actes sexuels, pas d’orientation sexuelle, temporaire ou permanente.
Donc une des rares certitudes qu’on peut avoir est que toute affirmation que la Bible condamne le fait d’avoir telle ou telle orientation sexuelle est une affirmation fausse, qui projette sur le texte biblique des notions anachroniques.
Par contre, il est possible que la Bible condamne certaines pratiques sexuelles.
Les textes employés contre l’homosexualité
Je me sens obligé de démarrer par une précision qui me semble cruciale et qui fait écho à l’idée que le message biblique sur ces questions n’est pas évident : beaucoup parlent des textes qui sont contre l’homosexualité, mais en réalité, ce sont des textes employés contre l’homosexualité. Dire que ce sont des textes qui sont contre l’homosexualité, c’est présager qu’une lecture de ces textes est une vérité admise, or je vais présenter dans cet article en quoi c’est très loin d’être le cas.
Les textes qui parlent d’autre chose
Genèse 1
Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa ;
mâle et femelle il les créa. (Gn 1,27)
Ce texte est régulièrement utilisé pour affirmer que l’opposition et la complémentarité entre homme et femme est cruciale dans le projet de Dieu pour l’humanité.
Cette affirmation oublie pourtant un élément crucial : en hébreu, c’est une figure de style appelée mérisme que de désigner un tout par deux de ses parties opposées, comme « le ciel et la terre » pour parler du monde. Ou, ici, « mâle et femelle » pour l’humanité.
Quand on dit que Dieu est le créateur du ciel et de la terre, personne n’implique qu’il n’existe pas de mers, ou qu’il n’existe pas des zones dans le monde qui sont un peu entre deux éléments, comme le sommet d’une montagne ou un marais, ou que la terre n’a pas d’existence propre sans son rapport au ciel. Pourtant, certains tirent de ce texte exactement ces conclusions-là à propos de l’homme et de la femme…
Quid de la citation de ce passage par Jésus en Mt 19, cependant ? Le contexte est crucial : des pharisiens viennent poser à Jésus une question d’interprétation du droit en matière de procédure de divorce. Dans ce contexte étroit, Jésus rappelle l’importance de l’engagement que constituent les vœux de mariage et reproche aux pharisiens de vouloir s’y soustraire. Jésus emploie ce texte dans le cadre d’une discussion sur le mariage, dans une société où celui-ci est polygame et strictement hétérosexuel. Il n’est pas du tout évident que cette citation signifie que Dieu veuille uniquement des unions hétérosexuelles (et polygames…).
Genèse 2
Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. (Gn 2,24)
Les auteurs de la Bible ne connaissent qu’une seule forme d’union maritale, celle entre un homme et une femme. Le fait qu’ils n’envisagent dans ce texte que cette forme-là est donc assez logique. Qui plus est, si l’on devait comprendre ce verset comme un commandement rigide sur la manière de vivre nos amours, devrait-on en comprendre que seul l’homme doit quitter sa famille pour son mariage, pas la femme ?
Ce verset décrit une réalité très simple : le jeune, tout attaché qu’il est à ses parents, une fois amoureux, s’attache tout entier à la personne qu’il aime, dans une intimité qui va jusque dans la chair ; ou bien il fait l’expérience spirituelle de se sentir uni à l’autre dans ce qu’on appelle justement l’union charnelle. C’est vrai aussi bien pour les relations hétérosexuelles qu’homosexuelles.
Genèse 19
Aujourd’hui, le terme sodomie est employé pour parler de la pénétration anale et on fait croire que c’est le péché qui a mené à la destruction de Sodome et Gomorrhe. Sauf qu’aucune mention n’y est faite de la sodomie ! D’ailleurs le terme de sodomie a été employé au Moyen-Âge pour tout un tas d’actes incluant le cunnilingus (qui était alors puni de sanctions pénales…).
D’ailleurs, parmi des commentateurs chrétiens des premiers siècles, comme Origène (3ème siècle) ou Ambroise de Milan (4ème siècle), le péché de ces deux villes est clair, c’est le manquement à l’hospitalité (qui est un crime grave dans le Proche-Orient Ancien). La Bible elle-même ne parle jamais de sodomie en parlant de Sodome :
- « Voilà ce que fut la faute de ta sœur Sodome : orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante, elle et ses filles ; mais la main du malheureux et du pauvre, elle ne la raffermissait pas. » (Ez 16,49)
- « ils s’adonnent à l’adultère et ils vivent dans la fausseté, ils prêtent main forte aux malfaiteurs : si bien que personne ne peut revenir de sa méchanceté. Tous sont devenus pour moi pareils aux gens de Sodome, ses habitants ressemblent à ceux de Gomorrhe. » (Jr 23,14)
- « Il n’a pas épargné la ville de Loth, dont il avait l’orgueil en abomination. » (Si 16,8)
En particulier, le texte de Genèse 19 mentionne une tentative de viol en réunion de la part des habitants de Sodome à l’encontre de voyageurs qui viennent d’arriver. Je ne vois aucun problème à condamner avec la plus grande sévérité le viol en réunion, mais il n’a strictement aucun lien avec le vécu d’une relation entre hommes ou entre femmes vivant un amour mutuel.
Certaines personnes rapprochent néanmoins les deux et là encore, il me semble crucial de remarquer que c’est une rhétorique profondément malhonnête. Cela a à peu près autant de sens que si quelqu’un tentait de critiquer la sexualité en général en prenant l’existence du viol comme prétexte. Le viol, et encore moins le viol en réunion, n’est pas une pratique sexuelle. C’est une forme de violence qui emploie le sexe comme arme (et d’ailleurs les psychologues et les criminologues ont montré que les violeurs n’agissent pas par désir sexuel mais par volonté de dominer, par volonté d’infliger de la souffrance ou par rage).
Les textes qui parlent de relations homosexuelles
Quand on parle des mentions de l’homosexualité dans la Bible, plusieurs détails méritent d’être soulevés :
- la Bible n’en parle que 5 fois, un verset doublé dans l’Ancien Testament et trois dans le Nouveau Testament
- parmi ces 5 versets, tous sauf un s’adressent spécifiquement aux hommes
- Jésus n’en parle pas une seule fois
- Paul est le seul à en parler dans le Nouveau Testament (et ce que Paul connaît des relations homosexuelles, ce sont celles du monde gréco-romain et la prostitution sacrée)
Quand on voit combien certains thèmes sont martelés d’un bout à l’autre de la Bible, par les Prophètes et par Jésus, on est en droit de se demander pourquoi tant d’énergie est allouée dans nos Églises à un sujet si ténu dans les Écritures.
Lévitique 18/20
Tu ne coucheras pas avec un homme dans les [deux] lits d’une femme, c’est une abomination. (Lv 18,22)
Quand un homme couche avec un homme dans les [deux] lits d’une femme, ce qu’ils ont fait tous les deux est une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombe sur eux. (Lv 20,13)
Je mets volontairement une traduction littérale, « dans les [deux] lits d’une femme », car c’est traduit de manière récente par « comme on couche avec une femme ». Peut-être existe-t-il un excellent argument pour que le second soit la traduction du premier (je n’en connais pas), mais j’espère que vous serez d’accord avec moi qu’il n’y a là strictement rien d’évident.
Que pourrait bien vouloir dire cette étrange expression ? Une hypothèse est qu’elle parle du lit conjugal d’une femme (hypothèse décrite dans un article de Jan Joosten). C’est-à-dire que ces deux versets condamneraient le fait pour une homme de coucher avec un homme marié à une femme. Le fait que des hommes mariés avec une femme puissent avoir en secret une sexualité avec des hommes n’est donc probablement pas un problème moderne et ces versets y offraient une solution (violente).
Dans cette hypothèse, ce verset ne condamne aucun homme vivant et/ou couchant avec un homme en dehors de toute adultère. Et ce texte ne dit de toute façon strictement rien des femmes entre elles.
De plus, je viens de parler de traduction récente, car dans plusieurs traductions datant d’avant le 20ème siècle, on traduit très différemment et cela nous indique quelle a pu être la tradition millénaire d’interprétation de ces versets, puisque d’aucuns prétendent défendre une telle interprétation. La Bible de Luther (1545) dit par exemple „Du sollst nicht beim Knaben liegen wie beim Weibe; denn es ist ein Greuel.“ Littéralement : « Tu ne dois pas coucher avec un garçon comme on couche avec une femme, c’est une abomination. » C’est-à-dire qu’on pensait que ce verset s’appliquait à la pédérastie, aux rapports (forcés) entre un adulte et un mineur.
Là encore, rien à voir avec une relation aimante.
Une dernière possibilité est que ce passage, au vu de sa position dans le Lévitique, ait en fait un rapport avec l’idôlatrie et en particulier avec la pratique, dans le Proche-Orient Ancien, des prostitué·e·s sacré·e·s. Évidemment, vu la condamnation sévère à la fois de la prostitution et de l’idôlatrie dans l’Ancien Testament, il ne serait pas étonnant que le fait d’aller coucher avec un prostitué sacré dans le temple d’un dieu paîen ait semblé une des pires abominations possibles pour les auteurs de la Bible.
Mais toujours rien à voir avec les relations que nous connaissons aujourd’hui entre hommes et entre femmes.
Romains 1
C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement. (Rm 1,26–27)
On peut excuser Paul, vivant dans la société juive, de ne pas savoir que la nature regorge d’animaux ayant des rapports homosexuels. Les auteurs grecs en avaient fait l’observation mais peut-être l’ignorait-il.
On peut excuser Paul de ne pas savoir qu’on naît avec une certaine orientation sexuelle qui n’est ni un choix ni une pathologie mentale. Après tout, la science a élucidé ces questions seulement dans les 20 dernières années. On sait aujourd’hui que l’orientation sexuelle est avant tout le résultat de facteurs génétiques, épigénétiques et hormonaux intra utero. Paul ne pouvait pas le savoir.
Mais nous, nous savons tout ça et nous devons en tenir compte dans notre lecture de la Bible et notre façon d’accueillir nos frères et nos sœurs en Christ. On ne peut pas qualifier de contre nature ce qui fait partie de la nature même d’une personne. De la même manière qu’on ne peut pas demander à un être humain de cesser de respirer ou de boire, on ne peut pas demander à une personne homosexuelle ou bisexuelle de n’être attirée que par les personnes de l’autre sexe.
Au contraire, pour une personne homosexuelle, ce qui constituerait réellement une relation contre nature, ce serait une union avec une personne de sexe opposée qu’elle se serait imposée dans le but de satisfaire aux exigences étroites de ses coreligionnaires…
Mais les problèmes que posent l’usage de ce texte pour condamner ne s’arrêtent pas là.
En effet, les versets 18 à 32 ont questionné quantité d’exégètes pour leur franche différence de style avec le reste de l’épître aux Romains. Qui plus est, ils sont immédiatement suivis par une interpellation, avec un vocatif dans le grec : « Tu es donc inexcusable, toi, qui que tu sois, qui juges » (Rm 2:1).
En fait, les versets 18 à 32 sont vraisemblablement non pas l’avis de Paul mais sa citation d’une diatribe classique qu’emploient des juifs à l’encontre des païens. Lui qui est appelé à convertir les païens, il commence donc par citer et critiquer ces attaques pour les évacuer.
C’est donc spécialement ironique de se servir de ces attaques-là pour condamner quelqu’un…
1 Corinthiens 6 et 1 Timothée
Ne savez-vous donc pas que les injustes n’hériteront pas du Royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas ! Ni les débauchés, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les pédérastes, (1Co 6,9)
En effet, comprenons bien ceci : la loi n’est pas là pour le juste, mais pour les gens insoumis et rebelles, impies et pécheurs, sacrilèges et profanateurs, parricides et matricides, meurtriers, débauchés, pédérastes, marchands d’esclaves, menteurs, parjures, et pour tout ce qui s’oppose à la saine doctrine. (1Tm 1,9–10)
Certaines traductions de la Bible ont l’audace de traduire αρσενοκοιται (ici traduit en pédérastes) par homosexuels. Sachant que le terme existe depuis à peine plus d’un siècle, c’est un peu gonflé d’aller le caser dans la Bible. Clairement, celle-ci ne fait pas référence à une catégorie qui sera inventée 1800 ans plus tard…
Mais du coup, que désigne ici Paul avec ce mot ? Il y a deux possibilités, qui ne sont pas exclusives. D’une part, le mot employé renvoit au grec employé en Lv 18/20, donc il s’agit peut-être de la même condamnation.
D’autre part, le mot, littéralement « hommes couchants », veut peut-être dire « les hommes couchant avec des hommes ». La question se pose donc de savoir quelles réalités Paul dénonce ici. Il semble naturel que Paul dénonce les réalités qu’il connait, qui sont des relations de contrainte et d’asservissement social. Car dans l’empire romain, le fait pour un homme de coucher avec un autre homme est très codifié. Il est inenvisageable pour un citoyen de se faire pénétrer, car ce serait être vulnérable, inférieur. Donc les citoyens sodomisent des hommes qu’ils considérent inférieurs : des jeunes garçons pas encore citoyens, des esclaves et des artistes. On a même une citation abjecte de Sénèque, qui explique qu’un esclave affranchi manquerait à son devoir s’il refusait de se faire pénétrer par son ancien maître. Évidemment, pour les esclaves, le refus est tout simplement hors de question. Paul, qui est citoyen romain, connait donc ce système de viols encadrés par des codes sociaux.
Cette dénonciation-là, qui n’a aucun lien avec des relations vécues dans l’amour, est toujours autant d’actualité. Des relations sexuelles teintées de ce genre de contraintes, nous en avons au moins deux instances dans nos sociétés modernes : les relations sexuelles en prison et les hommes de pouvoir qui assouvissent leurs passions sur leurs subalternes, généralement des femmes.
Est-ce que Paul pouvait imaginer que deux hommes vivent ensemble dans un amour mutuel ? La chose n’existant pas du tout à son époque, même dans les sociétés qui valorisent les relations sexuelles entre hommes, cela semble peu probable.
Les textes qui valorisent (peut-être) des relations homosexuelles
David et Jonathan
Ce texte est peut-être l’exemple le plus parfait d’un texte où, si on étudie de près, on voit combien une tradition, parce qu’elle cherche à faire semblant que l’homosexualité ne peut être acceptée par Dieu, a pesé pour distordre le texte.
Posons donc d’emblée plusieurs choses :
je ne prétends pas que David et Jonathan étaient clairement amants
je prétends par contre que prétendre qu’ils ne l’étaient clairement pas nécessite d’aller à l’encontre du texte biblique
en particulier, je vais montrer que nos traductions modernes font des choix difficilement justifiables, pour pouvoir puissamment écarter aux yeux du lecteur lambda la possibilité d’une relation amoureuse
Tout se joue en 2Sam 1,26 :
Je souffre pour toi, mon frère Jonathan. Tu m’as été très agréable. Ton amour pour moi était merveilleux, plus que l’amour des femmes.
Allons donc jeter un œil au texte ancien !
Dans le texte hébreu (et dans son ancienne traduction en grec, la Septante, qui indique souvent comment le texte était compris il y a longtemps), le mot employé pour « amour pour moi » et « amour des femmes » est le même, אַהֲבָה (ahavah). Il n’y a littéralement aucune différence de faite. Et quand on sait que David eut 7 femmes et des concubines, il semblerait un brin tiré par les cheveux de prétendre qu’il parle ici d’un amour platonique. Pas impossible, mais plutôt improbable a priori. D’autant plus qu’il n’y a pas de raison d’opposer Jonathan aux femmes si c’est juste pour dire que son amitié avec Jonathan surpassait d’autres ou toutes les autres amitiés.
Le texte grec de la Septante traduit naturellement les deux occurences du même mot par un seul mot grec. Il emploie ἀγάπησίς (agapèsis), qui désigne plutôt l’affection ou l’amour fraternel, mais peut, rarement, désigner un amour passionnel. Sachant la richesse du grec en matière de mots pour décrire les types d’amour, l’emploi du même mot renforce la notion qu’il s’agit du même type d’amour, quel qu’il soit.
Et donc, au vu de ces données, que trouve-t-on dans nos traductions ?
« Ton amitié pour moi était merveilleuse, bien plus encore que l’amour des femmes. » (Traduction Œcuménique de la Bible)
« Ton amitié était pour moi une merveille plus belle que l’amour des femmes. » (Bible en Français Courant)
« Ton amitié était plus merveilleuse que l’amour des femmes. » (Parole de Vie)
Les textes plus ancients comme les Bibles de Sacy (1759), de Darby (1859) ou de Segond (1880) (et les traductions récentes basées sur la Segond) par contre, parlent bien dans les deux cas d’amour. On peut remarquer un phénomène similaire en anglais (la plupart des Bibles semblent employer “love“ deux fois, mais The Message parle de “friendship“ puis de “love“) et en allemand (la Bible de Luther de 1545 et celle de Schlachter de 1951, ainsi que sa réédition de 2000, emploient “Liebe“ deux fois, mais la Hoffnung für alle parle de “Freundschaft“ puis de “Liebe“).
On semble voir ici dans les traductions la même dynamique que dans quantité de discussions sur la nature de la relation entre David et Jonathan, c’est-à-dire une volonté moderne d’occulter la possibilité même qu’elle soit amoureuse et sexuelle.
J’insiste, il n’est pas possible d’affirmer avec une quelconque certitude que David et Jonathan étaient amants. Mais c’est trahir le texte biblique que de prétendre qu’il est certain qu’ils ne l’étaient pas. Cette invisibilisation sert de fondement à un raisonnement circulaire, qui prétend que la Bible ne contient aucun exemple positif de relations homosexuelle, que la Bible condamne l’homosexualité sans doute possible, donc que David et Jonathan sont clairement juste amis (et que donc la Bible ne contient aucun exemple positif, etc…).
Histoire de briser encore un peu l’illusion de certitude, on pourra noter que le verbe qui est traduit en « être agréable » (la phrase dit littéralement « tu as {verbe} à moi beaucoup ») a les définitions suivantes dans le Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique : « 1. être agréable, délicieux 2. avoir du bonheur 3. être charmant, joli ».
Ruth et Noémi
Le lien entre Ruth et sa belle-mère Noémi est un autre exemple où le texte est surprenant par l’intensité des sentiments exprimés. C’en est au point que ce que Ruth déclame à Noémi est employé régulièrement comme vœux de mariage. Ça semble en effet parfaitement incongru d’employer de tels mots en dehors d’une relation amoureuse :
« Ne me presse pas de t’abandonner, de retourner loin de toi ;
car où tu iras j’irai,
et où tu passeras la nuit je la passerai ;
ton peuple sera mon peuple
et ton dieu mon dieu ;
où tu mourras je mourrai,
et là je serai enterrée.
Le SEIGNEUR me fasse ainsi et plus encore
si ce n’est pas la mort qui nous sépare ! » (Ruth 1,16–17)
Est-ce qu’il est clair que Ruth et Noémi étaient amantes ? Non, pas du tout, mais avec une telle déclaration d’amour, cela semble une vraie possibilité. D’ailleurs, plus loin dans le texte, Booz dira de Ruth qu’elle a abandonné son père et sa mère pour suivre Noémi, ce qui pourrait faire écho à Gn 2,24. Et le parallèle ne s’arrête pas là, car quand il est dit que Ruth s’accrocha à Noémi en refusant de la quitter, le texte hébreu emploie le même verbe qu’il utilise en Gn 2,24 pour dire que l’homme s’unira à sa femme.
Il est donc possible que le livre de Ruth contienne un second exemple de relation homosexuelle dans l’Ancien Testament, présenté lui aussi de manière positive, comme un exemple d’amour particulièrement fort.
Et cette interprétation, encore une fois, n’est peut-être pas juste une lubie moderne, quand on voit comment Gustave Doré illustra ce moment d’amour intense en 1866 :
Le centurion (peut-être) gay
Il se pourrait également qu’une relation homosexuelle soit brièvement visible dans le Nouveau Testament, en Mt 8,5–13 et Lc 7,1–10. Un centurion, que vantent des notables juifs car il aime leur nation et a fait construire une synagogue, y vient demander à Jésus de guérir son serviteur. Dans ce récit somme toute banal, deux détails ont attiré l’attention de certains exégètes.
D’une part, deux mots distincts y sont employés pour parler de serviteurs. Quand le centurion parle de serviteurs en général, il emploie le mot δουλος, qui veut dire serviteur ou esclave. Mais quand il parle de celui qu’il veut que Jésus soigne, il emploie le mot παις, qui veut dire enfant, serviteur ou amant. D’autre part, alors même qu’il semble quelqu’un de littéralement digne, il dit à Jésus qu’il n’est pas digne que celui-ci entre dans sa maison. Pourquoi ce vocable, cette réaction et, en plus, une telle sollicitude de la part d’un centurion pour un simple serviteur ?
Une des possibilités est tout simplement qu’il y ait eu entre ce centurion et ce serviteur une relation assez commune dans le monde greco-romain, d’un homme mature avec son jeune amant. Une telle relation n’aurait peut-être pas été acceptée dans la Galilée de l’époque, ce qui expliquerait son commentaire sur son indignité. Si c’est bien ça, il a malgré tout bravé ses réticences pour sauver celui qu’il aimait.
Et ce serait bien du genre de Jésus de voir au-delà des convenances et des normes et d’être touché par la force d’un amour, lui qui nous a enseigné qu’aimer est le plus grand commandement…
Que Dieu vous garde.