L'avortement n'est pas un meurtre, pas selon la Bible

Les mouvements et les militants anti-choix, c’est-à-dire qui refusent que les femmes puissent faire le choix d’une interruption volontaire de grossesse pendant les premières semaines de la grossesse (en France, les 12 premières, par exemple), affirment généralement qu’ils ont cette position pour des raisons religieuses.

En accordant le statut de personne au fœtus, ils estiment que mettre fin à une grossesse est un meurtre. Ils n’inventent rien, c’est soi-disant dans la Bible.

Voyons voir ça.

La question du meurtre

Tout d’abord, il s’avère qu’il y a, dans les codes de loi qui traitent du meurtre, un passage qui traite de l’interruption d’une grossesse. Dans ce chapître, plusieurs fois, on traite différement la mort et les blessures d’une personne :

  • si quelqu’un frappe et tue un homme, il est condamné à mort (Ex 21,12)
  • si quelqu’un frappe et blesse seulement, il est condamné à une indemnité (Ex 21,18–19)
  • si un maître tue un serviteur, il est condamné à mort (Ex 21,20)
  • si un maître frappe et blesse seulement, son serviteur obtient la liberté comme indemnité (Ex 21,26–27)
  • si un bœuf tue une personne, le propriétaire ne risque rien (Ex 21,28)
  • sauf que si un bœuf qui avait déjà tué ou blessé tue une personne, le propriétaire sera condamné à mort (Ex 21,29)
  • si un bœuf tue un autre bœuf, il y a un partage des bêtes (Ex 21,35–36)

Clairement, le critère est « mort intentionnelle ou négligente d’une personne = condamnation à mort ».

Or un passage traite du cas où des hommes qui se battent entre eux interrompent accidentellement une grossesse. Le passage envisage deux cas :

  • si la femme enceinte ne subit pas de dommages graves, il y a indemnisation
  • si la femme meurt ou est blessée, on inflige la même chose qu’elle a subi

« Si, au cours d’une dispute entre hommes, une femme enceinte est heurtée et que cela provoque un accouchement prématuré, mais sans conséquence grave pour la femme, le coupable devra payer, après arbitrage, l’indemnité réclamée par le mari. Mais s’il en résulte une conséquence grave pour la femme, le coupable sera puni : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, coup pour coup. (Ex 21,22–25)

Notez que le texte hébreu n’est pas aussi explicite que le texte français. Le texte dit littéralement « si son enfant sort et qu’il n’arrive pas de malheur ». Mais le texte hébreu doit évidemment être lu dans son contexte. Mettez-vous donc à la place des auteurs de ce code de loi et demandez-vous quelles sont les chances qu’un fœtus survive à un accouchement prématuré déclenché par une violence sur la femme enceinte, à leur époque ? J’imagine que pour eux, c’est une évidence que la situation qu’il décrivent ici aboutit à la mort du fœtus.

Clairement, dans cette loi mosaïque, le devenir du fœtus n’entre pas un instant en ligne de compte. Dans le cadre de ce code, si l’auteur avait estimé que le fœtus est une personne, le fait qu’il survive ou meurt aurait forcément été un critère. Ici, seul le devenir de la femme enceinte compte.

Ce texte biblique ne reconnaît donc pas un statut de personne au fœtus, implicitement, et ne qualifie pas de meurtre un geste qui interrompt la vie d’un fœtus, explicitement.

Le plan de Dieu pour nous

Mais les anti-choix ont un autre atout dans leur manche. Selon eux, Dieu nous a dit qu’il a un plan pour chaque personne, avant même leur conception. Le Seigneur lui-même l’a révélé à Jérémie :

La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations. » Je dis : « Ah ! Seigneur DIEU, je ne saurais parler, je suis trop jeune. » (Jr 1,4–6)

Le psalmiste le chante à propos de lui-même :

C’est toi qui as créé mes reins ; tu m’abritais dans le sein maternel. (…) Je n’étais qu’une ébauche et tes yeux m’ont vu. Dans ton livre ils étaient tous décrits, ces jours qui furent formés quand aucun d’eux n’existait. Dieu ! que tes projets sont difficiles pour moi, que leur somme est élevée ! (Ps 139,13.16–17)

Et Paul en parle pour des communautés toutes entières :

Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ ; ainsi l’a voulu sa bienveillance (Eph 1,4–5)

Examinons un instant ces textes et la logique de l’argument anti-choix. De qui parlent les Écritures quand elles disent que Dieu avait des plans pour ces personnes ? Dans les trois cas, de personnes qui sont effectivement nées et ont vécu. Ces personnes-là, Dieu, omniscient, savait évidemment que leurs fœtus allaient être menés à terme, qu’elles allaient être né.e.s et vivre.

Est-ce que le texte donne ne serait-ce qu’un indice que ce que Jérémie, le psalmiste et Paul disent s’applique à qui que ce soit d’autre qu’à Jérémie, au psalmiste ou à la communauté des disciples de Christ ? Non. Ces passages nous parlent de la providence divine pour tous les êtres humains qui vivent (ce qui est déjà pas mal !). En aucune manière, ces passages ne disent que Dieu exige que chaque fœtus soit mené à terme.

L’ironie abjecte de cette situation

Ce qui est proprement horrible dans la dynamique entre les croyants qui s’opposent à l’avortement et les personnes qui voudraient en bénéficier, c’est que c’est l’ambiance néfaste et délétère créée par ces mêmes croyants qui crée une large partie de la demande en avortements.

Je m’explique.

Dans un monde idéal où tous les chrétiens sont des disciples de Christ, que se passerait-il quand une très jeune femme, en contradiction avec la morale de sa communauté, a eu des relations sexuelles hors mariage et tombe enceinte ? Ne poussons pas l’utopie trop loin et imaginons qu’elle est lamentablement abandonnée par son partenaire sexuel (vous noterez qu’on entend jamais des croyants se battre pour que les hommes assument les responsabilités de leur sexualité, étrangement)…

De la part de ses frères et sœurs en Christ, elle trouverait une oreille attentive à sa situation et recevrait le pardon si elle fait preuve de repentance, pour commencer. Elle serait accueillie à bras ouverts et serait inondée de cet amour qui doit distinguer dans le monde les disciples de Christ. Elle serait rassurée par les mères sur sa grossesse. Elle serait louée et félicitée pour l’opportunité qu’elle a de mettre une vie au monde, qu’elle souhaite élever l’enfant ou non. Une fois l’enfant né, elle pourrait le faire adopter ou le garder et la communauté serait là pour offrir à la jeune femme un soutien réel pour limiter les difficultés inhérentes à une mère si jeune, par exemple pour lui permettre de ne pas devoir arrêter sa scolarité, pour lui permettre de trouver un travail, etc…

Maintenant, revenons à notre monde et observons ce qui se passait dans la quasi-totalité des communautés chrétiennes il y a encore une ou deux générations et se passe encore dans quantité d’entre elles aujourd’hui, quand une jeune femme célibataire tombe enceinte. Tout d’abord, elle se sent mal à l’aise dans la communauté, pointée du doigt et enfermée dans la honte de sa situation. Qu’elle fasse preuve de repentance n’y changera rien, évidemment, car le mal est fait et de plus en plus manifeste avec les mois.

Est-ce qu’elle peut espérer qu’on récompensera son comportement vertueux si elle garde l’enfant ? Pas vraiment. Ce qu’elle recevra en retour, ce sera surtout que la situation sera désormais définitive. Elle est une mère célibataire. Quand elle sera dans la communauté avec son enfant, seule, les regards de travers continueront. On ne la louera pas d’avoir fait le bon choix de garder l’enfant, on lui rappellera son immoralité sexuelle. On ne l’aidera pas à subvenir aux besoins de l’enfant.

Elle constatera, amère, que les croyants sont prêts à se battre pour qu’elle mette l’enfant au monde, mais pas pour que sa mère et lui puisse vivre en bonne santé… (et si la société civile les fait bénéficier d’aides sociales, peut-être sera-t-elle considérée comme une parasite)

Dans une telle ambiance, à votre avis, à quel choix les croyants encouragent-ils ces femmes enceintes ?

L’hypocrisie

Il me semble indispensable de mentionner, pour finir, que non seulement la rhétorique biblique des anti-choix ne tient pas la route, mais qu’elle est pour un certain nombre d’entre eux parfaitement hypocrite. On peut trouver des listes de témoignages de praticiens ayant pratiqué des avortements, parfois plusieurs, pour des militants anti-choix. S’ils sont toujours prêts à nier ce choix aux autres, ils apprécient parfois bien d’en bénéficier.

Alors que lorsqu’une personne anti-choix va demander à un praticien un avortement, les praticiens lui apportent écoute et soins médicaux, dans le respect de leur éthique médicale, qu’en particulier ils respectent le secret médical, celui-ci permet à ces personnes, parfois le lendemain même, d’imposer à d’autres leurs jugements et leurs condamnations tout en évitant de devoir elles-mêmes les subir.

La mise en garde de Jésus s’est rarement mieux appliquée qu’à ces hypocrites-là :

Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés ; car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera, et c’est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous. Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou bien, comment vas-tu dire à ton frère : “Attends ! que j’ôte la paille de ton œil” ? Seulement voilà : la poutre est dans ton œil ! (Mt 7,1–4)

Que Dieu vous garde.

Illustration : Ultrasound image of the foetus at 12 weeks