L’homosexualité aujourd’hui et dans le passé
Les termes « homosexuel » et « homosexualité » sont inventés en 1868. Avant, on envisageait plutôt toute une série de pratiques sexuelles jugées déviantes, qu’on rangeait notamment sous la vaste catégorie de sodomie (catégorie dans laquelle, selon les lieux et les époques, sont rentrés aussi bien le cunnilingus que la zoophilie) sans forcément penser qu’elles étaient intrinsèques à la personne. Il était assez normal qu’un homme ayant des rapports sexuels avec des hommes soit par ailleurs marié avec des enfants.
Plusieurs sociétés sont foncièrement bisexuelles, comme la Grèce antique ou le monde celte. On y voit le sexe comme quelque chose que n’importe qui peut pratiquer avec n’importe qui d’autre. Les philosophes grecs, néanmoins, estiment que l’amour entre hommes élève spirituellement alors que l’amour d’un homme pour une femme est bassement matériel. D’ailleurs, les plus grands combattants et les plus brillants politiciens préfèrent les hommes aux femmes. CQFD.
Néanmoins, ce que vivent les personnes homosexuelles aujourd’hui est probablement une réalité absente de la plupart des sociétés avant nous, en particulier du Proche-Orient Ancien. Il y a bien eu des mariages homosexuels dans les premiers siècles de l’Église chrétienne (les αδελφοποεισις, litt. faire des frères) et au moins en France au Moyen-Âge (les affrèrements), mais dans le Proche-Orient Ancien, les relations homosexuelles étaient toujours hors du cadre d’une union maritale. Il y a eu des couples d’amants de même sexe qui vivent un amour durable, comme David et Jonathan dans la Bible (2Sam 1,26) et de nombreux héros de la mythologie grecque, mais rien qui approche un mariage homosexuel.
Qui plus est, à part ces exceptions que sont ces quelques couples aimants, les relations homosexuelles sont avant tout basées sur une hiérarchie sociale. Les rois perses couchent avec leurs eunuques, les grecs couchent plutôt avec de jeunes hommes pour les éduquer et ce sont les romains qui codifieront le plus ces relations : un citoyen peut pénetrer un jeune homme, un artiste ou un esclave, mais surtout pas un autre citoyen. Selon Sénèque, « s’il est normal pour un jeune homme d’être passif dans la relation, la passivité sexuelle chez un homme libre est un crime, chez un esclave, une obligation, chez l’affranchi, un service. » Et dans l’environnement d’Israël, la prostitution sacrée, d’hommes et de femmes, est monnaie courante.
Il faut donc réaliser que si un auteur de l’époque parle de relations homosexuelles, ce qu’il désigne n’a rien à voir avec deux hommes ou deux femmes qui s’aiment et vivent en couple. Cette réalité-là est absente dans le Proche-Orient Ancien.
Dans la Bible
Il y a toute une série de textes que certaines personnes citent pour condamner aujourd’hui les couples homosexuels. Certains de ces textes sont franchement tirés par les cheveux voire carrément utilisés pour dire quelque chose qui est rigoureusement absent du texte biblique. D’autres me semblent faire référence aux relations homosexuelles de l’époque et sont abusivement appliqués aux couples homosexuels, qui vivent une autre réalité.
Les textes qui parlent d’autre chose
Genèse 1
Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa ;
mâle et femelle il les créa. (Gn 1,27)
Ce texte est régulièrement utilisé pour affirmer que l’opposition et la complémentarité entre homme et femme est cruciale dans le projet de Dieu pour l’humanité.
Cette affirmation oublie pourtant un élément crucial : en hébreu, c’est une figure de style appelée mérisme que de désigner un tout par deux de ses parties opposées, comme « le ciel et la terre » pour parler du monde. Ou, ici, « mâle et femelle » pour l’humanité.
Quand on dit que Dieu est le créateur du ciel et de la terre, personne n’implique qu’il n’existe pas de mers, ou qu’il n’existe pas des zones dans le monde qui sont un peu entre deux éléments, comme le sommet d’une montagne ou un marais, ou que la terre n’a pas d’existence propre sans son rapport au ciel. Pourtant, certains tirent de ce texte exactement ces conclusions-là à propos de l’homme et de la femme…
Genèse 2
Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. (Gn 2,24
Les auteurs de la Bible ne connaissent qu’une seule forme d’union maritale, celle entre un homme et une femme. Le fait qu’ils n’envisagent dans ce texte que cette forme-là est donc assez logique. Qui plus est, si l’on devait comprendre ce verset comme un commandement rigide sur la manière de vivre nos amours, devrait-on en comprendre que seul l’homme doit quitter sa famille pour son mariage, pas la femme ?
Ce verset décrit une réalité très simple : le jeune, tout attaché qu’il est à ses parents, une fois amoureux, s’attache tout entier à la personne qu’il aime, dans une intimité qui va jusque dans la chair. C’est vrai aussi bien pour les relations hétérosexuelles qu’homosexuelles.
Genèse 19
Aujourd’hui, le terme sodomie est employé pour parler de la pénétration anale et on fait croire que c’est le péché qui a mené à la destruction de Sodome et Gomorrhe. Sauf qu’aucune mention n’y est faite de la sodomie !
D’ailleurs, parmi des commentateurs chrétiens des premiers siècles, comme Origène (3ème siècle) ou Ambroise de Milan (4ème siècle), le péché de ces deux villes est clair, c’est le manquement à l’hospitalité (qui est un crime grave dans le Proche-Orient Ancien). La Bible elle-même ne parle jamais de sodomie en parlant de Sodome :
- « Voilà ce que fut la faute de ta sœur Sodome : orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante, elle et ses filles ; mais la main du malheureux et du pauvre, elle ne la raffermissait pas. » (Ez 16,49)
- « ils s’adonnent à l’adultère et ils vivent dans la fausseté, ils prêtent main forte aux malfaiteurs : si bien que personne ne peut revenir de sa méchanceté. Tous sont devenus pour moi pareils aux gens de Sodome, ses habitants ressemblent à ceux de Gomorrhe. » (Jr 23,14)
- « Il n’a pas épargné la ville de Loth, dont il avait l’orgueil en abomination. » (Si 16,8)
En particulier, le texte de Genèse 19 mentionne une tentative de viol en réunion de la part des habitants de Sodome à l’encontre de voyageurs qui viennent d’arriver. Je ne vois aucun problème à condamner avec la plus grande sévérité le viol en réunion, mais il n’a strictement aucun lien avec le vécu d’un couple d’hommes ou de femmes qui vivent un amour mutuel.
Les textes qui parlent de relations homosexuelles
Quand on parle des mentions de l’homosexualité dans la Bible, plusieurs détails méritent d’être soulevés :
- la Bible n’en parle que 5 fois, un verset doublé dans l’Ancien Testament et trois dans le Nouveau Testament
- parmi ces 5 versets, tous sauf un s’adressent spécifiquement aux hommes
- Jésus n’en parle pas une seule fois
- Paul est le seul à en parler dans le Nouveau Testament (et ce que Paul connaît des relations homosexuelles, ce sont celles du monde gréco-romain et la prostitution sacrée)
Quand on voit combien certains thèmes sont martelés d’un bout à l’autre de la Bible, par les Prophètes et par Jésus, on est en droit de se demander pourquoi tant d’énergie est allouée dans nos Églises à un sujet si ténu dans les Écritures.
Lévitique 18/20
Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme ; ce serait une abomination. (Lv 18,22)
Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ce qu’ils ont fait tous les deux est une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombe sur eux. (Lv 20,13)
Ces deux versets se trouvent dans des codes de sainteté qui ont pour but de distinguer Israël des civilisations environnantes et notamment des habitants du pays de Canaan. Parmi les condamnations, on trouve des condamnations de l’idolâtrie, ce qui fait dire à certains exégètes que ces deux versets visent avant tout la prostitution sacrée, qu’on trouve dans les templs de Baal ou Astarté.
Mais l’usage de ces versets pose un autre problème plus grave : ces mêmes codes interdisent rigoureusement de coucher avec une femme qui a ses règles. C’est-à-dire qu’on cite là une règle alors qu’on enfreint une autre du même code, alors qu’aucune hiérarchie n’est établie dans le texte. Au contraire, la question de l’impureté du sang et des règles des femmes apparaît dans d’autres versets de l’Ancien Testament. Il y a donc une hypocrisie conséquente dans l’usage de ces versets.
Romains 1
C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement. (Rm 1,26–27)
On peut excuser Paul, vivant dans la société juive, de ne pas savoir que la nature regorge d’animaux ayant des rapports homosexuels. Les auteurs grecs en avaient fait l’observation mais peut-être l’ignorait-il.
On peut excuser Paul de ne pas savoir qu’on naît avec une certaine orientation sexuelle qui n’est ni un choix ni une pathologie mentale. Après tout, la science a élucidé ces questions seulement dans les 20 dernières années. On sait aujourd’hui que l’orientation sexuelle est avant tout le résultat de facteurs génétiques, épigénétiques et hormonaux intra utero. Paul ne pouvait pas le savoir.
Mais nous, nous savons tout ça et nous devons en tenir compte dans notre lecture de la Bible et notre façon d’accueillir nos frères et nos sœurs en Christ. On ne peut pas qualifier de contre nature ce qui fait partie de la nature même d’une personne. De la même manière qu’on ne peut pas demander à un être humain de cesser de respirer ou de boire, on ne peut pas demander à une personne homosexuelle ou bisexuelle de n’être attirée que par les personnes de l’autre sexe.
Au contraire, pour une personne homosexuelle, ce qui constituerait réellement une relation contre nature, ce serait une union avec une personne de sexe opposée qu’elle se serait imposée dans le but de satisfaire aux exigences étroites de ses coreligionnaires…
Mais les problèmes que posent l’usage de ce texte pour condamner ne s’arrêtent pas là.
En effet, les versets 18 à 32 ont questionné quantité d’exégètes pour leur franche différence de style avec le reste de l’épître aux Romains. Qui plus est, ils sont immédiatement suivis par une interpellation, avec un vocatif dans le grec : « Tu es donc inexcusable, toi, qui que tu sois, qui juges » (Rm 2:1).
En fait, les versets 18 à 32 sont vraisemblablement non pas l’avis de Paul mais sa citation d’une diatribe classique qu’emploient des juifs à l’encontre des païens. Lui qui est appelé à convertir les païens, il commence donc par citer et critiquer ces attaques pour les évacuer.
C’est donc spécialement ironique de se servir de ces attaques-là pour condamner quelqu’un…
1 Corinthiens 6
Ne savez-vous donc pas que les injustes n’hériteront pas du Royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas ! Ni les débauchés, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les pédérastes, (1Co 6,9)
Certaines traductions de la Bible ont l’audace de traduire αρσενοκοιται (ici traduit en pédérastes) par homosexuels. Sachant que le terme existe depuis à peine plus d’un siècle, c’est un peu gonflé d’aller le caser dans la Bible. Clairement, celle-ci ne fait pas référence à une catégorie qui sera inventée 1800 ans plus tard…
La question se pose donc de savoir quelles réalités Paul dénonce ici. Il semble naturel que Paul dénonce les réalités qu’il connait, qui sont des relations de contrainte et d’asservissement social. Cette dénonciation-là, qui n’a aucun lien avec des couples vivant dans l’amour, est toujours autant d’actualité. Des relations sexuelles teintées de ce genre de contraintes, nous en avons au moins deux instances dans nos sociétés modernes : les relations sexuelles en prison et les hommes de pouvoir qui assouvissent leurs passions sur leurs subalternes, généralement des femmes.
1 Timothée
En effet, comprenons bien ceci : la loi n’est pas là pour le juste, mais pour les gens insoumis et rebelles, impies et pécheurs, sacrilèges et profanateurs, parricides et matricides, meurtriers, débauchés, pédérastes, marchands d’esclaves, menteurs, parjures, et pour tout ce qui s’oppose à la saine doctrine. (1Tm 1,9–10)
Ici, le décalage entre les réalités modernes des couples homosexuels et les condamnations de Paul est encore plus évident. Le terme αρσενοκοιται se trouve encadré par deux types de relations déséquilibrées, prostitués (πορνοι, ici traduit en débauchés) et marchands d’esclaves.
L’utilisation de ce verset pour condamner un couple s’aimant dans le respect mutuel n’a pas de sens.
Que Dieu vous garde.
Illustration : Gay Couple Kiss under Water